A propos des poèmes du concours "Matiah Eckhard" 2017
La poésie comme guérison :
reconnaître et transformer la souffrance par l'écriture poétique
par Clément Barniaudy
"je suis tombé de la montagne
pour en escalader une plus haute "
Konstantinos Graham, Montpellier
L'édition
2017 du concours de poésie « Matiah Eckhard » a
encore été un moment particulier pour mieux percevoir et tenter de
comprendre ce qui habite les jeunes auteurs, âgés de 12 à 25 ans, de
notre monde contemporain. Cette année, au delà des chemins
familiers de l'expression poétique dont le sens ne s'épuise jamais
(célébration de la beauté du monde, engagement pour dénoncer les
injustices, émerveillement devant les inventions de la
Nature...), un thème a émergé au sein de la centaine de textes,
venus du monde entier, qui ont une nouvelle fois été soumis au jury du
concours.
Ce
thème s'écarte de l'idée que la plupart des gens se font de la
poésie puisqu'il s'agit de la souffrance. Pourtant, en exprimant
leur souffrance, les jeunes auteurs semblent ouvrir une brèche au sein
du sens commun d'une société trop occupée à se distraire,
niant cette souffrance, faisant semblant que tout va bien.
Reconnaître la souffrance pour les jeunes auteurs, c'est au contraire se
détourner d'une fausse-joie monnayable cachant un cynisme
désespérant, pour faire émerger un sens plus profond de l'existence.
Exprimer sa souffrance permet déjà de s'en distancier, de mieux
entrevoir la nature inextricable de situations devenues
étouffantes :
« J'aurai aimé rester près de vous,
mais c'est à croire que je suis voué au néant, c'est tout.
(…)
La seule chose que je suis capable de faire, c'est écrire
j'aurai aimé que vous compreniez la raison de mes soupirs
cela m'aurait empêché de souffrir »
Sara Braginsky, Maman, 16 ans, Nîmes
« Suffocant dans mes draps, en une dernière prière
les ongles enfoncés dans la peau, je cherche la
lumière. »
Iris Jalabert, Insomnie, 16 ans, Viols-le-fort
« Tous
ces OUI et tous ces NON me donnent mal à la tête. Ou alors
ce sont les médicaments. Je ne sais pas. Mais j'ai envie que tout
s'arrête. (…) Je ne veux pas de pitié, je veux juste que tout
s'arrête. »
Nicolas Charlier, Que tout s'arrête, 3e, Collège Saint André de
Sangonis
Cette
souffrance très aigüe, qui se dévoile dans plusieurs poèmes,
débouche même sur la pensée d'en finir avec une expérience jugée
trop douloureuse, trop instable et au fond dénuée de sens tant elle se
cogne sans cesse contre les murs d'une incarnation
problématique. Mais loin de n'être que l'expression d'une noirceur
inhérente à la vie humaine, la reconnaissance de cette souffrance offre
au contraire la possibilité de son propre dépassement.
Un dépassement qui prend la forme d'un éclair lumineux où la
confusion des sentiments laisse place à une étrange clarté :
« C'est un battement de cœur, lorsqu'il s'était
éteint,
l'émouvant lueur de l'horizon lointain,
C'est la voix délicieuse de l'ange qu'on aperçoit,
la folie silencieuse que l'on garde pour soi,
(...) »
Esther Milon, Frissons, 25 ans, Sarrebourg
« Mes mains si tu frappes.
Elles t'ouvriront.
Te montreront le chemin de mon être »
Méchak Eliezer Mbani, Ouvert, 22 ans, Brazzaville
(Congo)
« Etoile filante dans un ciel de bonté :
Offrande éphémère, cadeau de la nature
Mais aussi un chemin orné de bosselures,
Une épreuve ardente qu'il nous faut surmonter. »
Emmanuel Hetsch, La vie, 19 ans, Strasbourg
« Peu importe qui
vous êtes,
Qui je
suis.
Ce qu’on pense, ce qu’on
dit.
On rêve tous d’être
aimés.
Peu importe d’où vous
venez,
L’important c’est où vous
allez. »
Julie Depraeter, D'où
l'on vient, 4e, Collège Saint André-de-Sangonis (34)
L'expérience
de la souffrance reconnecte finalement le poète avec ce
qu'il a de plus profond en lui, avec une dimension si intime qu'elle
est partagée par tous. Découvrir les possibles contenus dans cette
expérience et déployer l'instant de clarté lumineuse vers
un intervalle plus large d'espace et de temps, c'est alors
s'inscrire dans des devenirs où la souffrance peut être transformée.
Dans bien des poèmes, cette transformation de la souffrance prend
pour appui un véhicule, capable d'enclencher un mouvement, de nous sortir de l'ornière d'une pesanteur douloureuse. L'amour ou l'amitié,
l'appel aux grandes forces de la
Nature ou à une écoute profonde de nos ressources intérieures sont
autant de moyens qu'évoquent les jeunes auteurs pour faire entrer un peu
d'air dans les pièces étouffantes :
« Que l'eau pure ruisselle partout sur la terre,
pour que nous ne soyons plus assoiffés,
pour que nos cœurs soient purifiés. »
Rachid Enassiri, La Pluie, 24 ans, Tinghir (Maroc)
« La terre est mère, le ciel est père
les brouhahas sont las, les bruits sont bas
La vie est là ! »
Nascimo Kerharo, La vie, 4e, Collège
Montferrier-sur-Lez
« J'ai senti mon cœur
rebattre au fil des jours
a la vue de ton sourire »
Helam Farrigh, L'amour, 6e, Collège Jean Moulin
Sète
« Il n'y a parfois que sa voix
un peu décalée des autres
qui lui fait croire en soi
Sa voix la guide, comme un apôtre
et elle finit par s'apaiser
et à trouver comment s'aimer »
Mina Saintrapt, L'espérance, 3e, Collège Jean Moulin
Sète
Mais
à y regarder de plus près, même
sans l'utilisation de ces remèdes universels qui guérissent peu à
peu les blessures du passé, il semble que la simple reconnaissance de
cette souffrance, le simple fait d'oser la regarder sans
s'y attacher ni la fuir, suffise déjà à initier un processus discret
de transformation intérieure, à faire entrer un peu de vent dans un
espace saturé de négativité. Et l'expression poétique
constitue ici une arme puissante pour trancher avec l'emprise de ces
émotions négatives, mettant de la distance entre les particules qui se
sont cristallisées en bloc de
souffrance :
« Pas de rires
pendant que le système vous forme
pour que vous deveniez personne
Mais dans l'harmonie
une âme peut s'élever
devenir énergie
synergie »
Konstantinos Graham, 19 ans, Montpellier
« Malgré le fait que je suis fragile
j'espère toujours
comme une ficelle attachée à une corde
et je me moque de ce que vous pensez de moi
étant fragile et éclatant
Car l'oeil de l'aigle
est le thème de ma bataille
et mentalement
je peux à peine voir
comment ne pas être moi
moi et toi-même. »
Konstantinos Graham, 19 ans, Montpellier
« Elle veut nous
engloutir dans la peur
Elle veut nous noyer dans
le malheur
Mais si la cage brisant
nos rêves
Qui détruit et déchire
sans trêve
S’ouvre pour libérer la
colombe
Tout à coup il n’y aura
plus de bombes
Ni de cris, ni d’égéries
sans ailes
Que des hommes libres
sous le ciel
Et alors de la couleur du
vent
Dans ton cœur grandira un
enfant. »
Perline Lafoux-Daudé
La cage, 15 ans, Lycée Notre Dame (Mende, 48)
Dès
lors, la reconnaissance de la souffrance n'est pas seulement un pas
vers un mieux-être. Elle n'est pas seulement une manière de faire
advenir des jours plus heureux dans notre expérience. Elle ouvre aussi à
la manifestation d'une éthique humaine. Une éthique qui
déniche nos mesquineries et nos stratégies puériles pour faire
semblant de ne pas voir, protégeant ainsi un réseau d'habitudes
égocentré, se sentant en permanence en insécurité. Une éthique qui
ose aller vers l'autre sans pitié ni condescendance mais avec élan,
avec courage, avec compassion, en particulier vers les plus faibles
d'entre eux : réfugiés, enfants blessés ou réduits en
esclavage, enfants travailleurs... :
« Ces enfants, car oui, ce sont des enfants,
implorent les noms de Dieu et de Satan.
Et leur demandent « Pourquoi faut-il souffrir
autant ? »
Pourquoi vivre ce supplice, eux, si jeunes et
insouciants.
Ils travaillent du lever au coucher du soleil,
de l'aube au crépuscule, sans repos, sans sommeil. »
Caoinhe Moresmau, Les enfants sacrifiés, 4e, Collège Saint André de
Sangonis
« Attrapes ma main
Toi, qui portes seule sur tes épaules
le poids sans fin du monde
Tu ne peux pas
Tu ne peux plus
Tu ne dois plus
Viens petite fille perdue
Petite fille meurtrie
Partage ta peine
Partage ta charge
Nous les porterons ensemble »
Lily Pouget, Elle porte le monde, 15 ans, Nîmes
Une éthique qui ose aussi clamer de grandes valeurs : liberté,
altruisme, gratitude, générosité dans une époque soi disant vouée au nihilisme ! :
« Pourquoi n'ai-je pas profité
de mes parents qui m'ont tant exalté
même si j'étais obstiné
j'aimerai tant me racheter
leur rendre ce qu'ils m'avaient donné (…)
Maintenant de tout mon être
je dois tout leur transmettre
à mes enfants si entêtés
s'ils comprennent j'aurai tout gagné
et s'ils m'ignorent je continuerai »
Ayoub Harrou, La courte vie, 4e, Collège Jean
Moulin
« Oh liberté !
Tombe, tombe la fièvre.
Bénissons le saut de l'ange.
Un cri ! A présent un homme !
Donnons par amour, par défi,
parce que j'y crois !
Mes frères, mes sœurs !
Pardonnons les erreurs et les folies.
Liberté... Liberté... Liberté... »
Clémence Gualy, Liberté, 22 ans, Montpellier
« Aimer, c'est troquer son égo contre le sourire du
prochain
c'est vivre ensemble aujourd'hui pour un commun lendemain
C'est nourrir chaque goutte d'espérance
Et mourir devant chaque souffrance »
Jocelyn Danga, Aimer, 23 ans, Kinshasa (RDCongo)
Il
nous faut donc une nouvelle fois remercier les jeunes auteurs,
très jeunes ou déjà moins jeunes, pour leur sagesse incommensurable,
pour nous avoir fait comprendre que reconnaître notre souffrance et
tenter de la transformer, ce n'est pas un sacerdoce
pénible et repoussant, mais peut-être la condition même pour habiter véritablement le monde, sans névrose ni surexcitation, simplement habiter.
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