lunedì 24 luglio 2017

La poésie comme guérison


A propos des poèmes du concours "Matiah Eckhard" 2017
 
 
La poésie comme guérison :
reconnaître et transformer la souffrance par l'écriture poétique

par Clément Barniaudy

 
                                                                                               "je suis tombé de la montagne
pour en escalader une plus haute "
Konstantinos Graham, Montpellier
 
L'édition 2017 du concours de poésie « Matiah Eckhard » a encore été un moment particulier pour mieux percevoir et tenter de comprendre ce qui habite les jeunes auteurs, âgés de 12 à 25 ans, de notre monde contemporain. Cette année, au delà des chemins familiers de l'expression poétique dont le sens ne s'épuise jamais (célébration de la beauté du monde, engagement pour dénoncer les injustices, émerveillement devant les inventions de la Nature...), un thème a émergé au sein de la centaine de textes, venus du monde entier, qui ont une nouvelle fois été soumis au jury du concours.
Ce thème s'écarte de l'idée que la plupart des gens se font de la poésie puisqu'il s'agit de la souffrance. Pourtant, en exprimant leur souffrance, les jeunes auteurs semblent ouvrir une brèche au sein du sens commun d'une société trop occupée à se distraire, niant cette souffrance, faisant semblant que tout va bien. Reconnaître la souffrance pour les jeunes auteurs, c'est au contraire se détourner d'une fausse-joie monnayable cachant un cynisme désespérant, pour faire émerger un sens plus profond de l'existence. Exprimer sa souffrance permet déjà de s'en distancier, de mieux entrevoir la nature inextricable de situations devenues étouffantes :
 
« J'aurai aimé rester près de vous,
mais c'est à croire que je suis voué au néant, c'est tout. (…)
La seule chose que je suis capable de faire, c'est écrire
j'aurai aimé que vous compreniez la raison de mes soupirs
cela m'aurait empêché de souffrir »
Sara Braginsky, Maman, 16 ans, Nîmes
 
« Suffocant dans mes draps, en une dernière prière
les ongles enfoncés dans la peau, je cherche la lumière. »
Iris Jalabert, Insomnie, 16 ans, Viols-le-fort
 
« Tous ces OUI et tous ces NON me donnent mal à la tête. Ou alors ce sont les médicaments. Je ne sais pas. Mais j'ai envie que tout s'arrête. (…) Je ne veux pas de pitié, je veux juste que tout s'arrête. »
Nicolas Charlier, Que tout s'arrête, 3e, Collège Saint André de Sangonis
 
Cette souffrance très aigüe, qui se dévoile dans plusieurs poèmes, débouche même sur la pensée d'en finir avec une expérience jugée trop douloureuse, trop instable et au fond dénuée de sens tant elle se cogne sans cesse contre les murs d'une incarnation problématique. Mais loin de n'être que l'expression d'une noirceur inhérente à la vie humaine, la reconnaissance de cette souffrance offre au contraire la possibilité de son propre dépassement. Un dépassement qui prend la forme d'un éclair lumineux où la confusion des sentiments laisse place à une étrange clarté :
 
« C'est un battement de cœur, lorsqu'il s'était éteint,
l'émouvant lueur de l'horizon lointain,
C'est la voix délicieuse de l'ange qu'on aperçoit,
la folie silencieuse que l'on garde pour soi, (...) »
Esther Milon, Frissons, 25 ans, Sarrebourg
 
« Mes mains si tu frappes.
Elles t'ouvriront.
Te montreront le chemin de mon être »
Méchak Eliezer Mbani, Ouvert, 22 ans, Brazzaville (Congo)
 
« Etoile filante dans un ciel de bonté :
Offrande éphémère, cadeau de la nature
Mais aussi un chemin orné de bosselures,
Une épreuve ardente qu'il nous faut surmonter. »
Emmanuel Hetsch, La vie, 19 ans, Strasbourg
 
« Peu importe qui vous êtes,
Qui je suis.
Ce qu’on pense, ce qu’on dit.
 
On rêve tous d’être aimés.
 
Peu importe d’où vous venez,
L’important c’est où vous allez. »
Julie Depraeter, D'où l'on vient, 4e, Collège Saint André-de-Sangonis (34)
 
 
L'expérience de la souffrance reconnecte finalement le poète avec ce qu'il a de plus profond en lui, avec une dimension si intime qu'elle est partagée par tous. Découvrir les possibles contenus dans cette expérience et déployer l'instant de clarté lumineuse vers un intervalle plus large d'espace et de temps, c'est alors s'inscrire dans des devenirs où la souffrance peut être transformée. Dans bien des poèmes, cette transformation de la souffrance prend pour appui un véhicule, capable d'enclencher un mouvement, de nous sortir de l'ornière d'une pesanteur douloureuse. L'amour ou l'amitié, l'appel aux grandes forces de la Nature ou à une écoute profonde de nos ressources intérieures sont autant de moyens qu'évoquent les jeunes auteurs pour faire entrer un peu d'air dans les pièces étouffantes :
 
« Que l'eau pure ruisselle partout sur la terre,
pour que nous ne soyons plus assoiffés,
pour que nos cœurs soient purifiés. »
Rachid Enassiri, La Pluie, 24 ans, Tinghir (Maroc)
 
« La terre est mère, le ciel est père
les brouhahas sont las, les bruits sont bas
La vie est là ! »
Nascimo Kerharo, La vie, 4e, Collège Montferrier-sur-Lez
 
« J'ai senti mon cœur
rebattre au fil des jours
a la vue de ton sourire »
Helam Farrigh, L'amour, 6e, Collège Jean Moulin Sète
 
« Il n'y a parfois que sa voix
un peu décalée des autres
qui lui fait croire en soi
Sa voix la guide, comme un apôtre
et elle finit par s'apaiser
et à trouver comment s'aimer »
Mina Saintrapt, L'espérance, 3e, Collège Jean Moulin Sète
 
Mais à y regarder de plus près, même sans l'utilisation de ces remèdes universels qui guérissent peu à peu les blessures du passé, il semble que la simple reconnaissance de cette souffrance, le simple fait d'oser la regarder sans s'y attacher ni la fuir, suffise déjà à initier un processus discret de transformation intérieure, à faire entrer un peu de vent dans un espace saturé de négativité. Et l'expression poétique constitue ici une arme puissante pour trancher avec l'emprise de ces émotions négatives, mettant de la distance entre les particules qui se sont cristallisées en bloc de souffrance :
 
 
« Pas de rires
pendant que le système vous forme
pour que vous deveniez personne
Mais dans l'harmonie
une âme peut s'élever
devenir énergie
synergie »
Konstantinos Graham, 19 ans, Montpellier
 
« Malgré le fait que je suis fragile
j'espère toujours
comme une ficelle attachée à une corde
et je me moque de ce que vous pensez de moi
étant fragile et éclatant
Car l'oeil de l'aigle
est le thème de ma bataille
et mentalement
je peux à peine voir
comment ne pas être moi
moi et toi-même. »
Konstantinos Graham, 19 ans, Montpellier
 
« Elle veut nous engloutir dans la peur
Elle veut nous noyer dans le malheur
Mais si la cage brisant nos rêves
Qui détruit et déchire sans trêve
S’ouvre pour libérer la colombe
Tout à coup il n’y aura plus de bombes
Ni de cris, ni d’égéries sans ailes
Que des hommes libres sous le ciel
Et alors de la couleur du vent
Dans ton cœur grandira un enfant. »
Perline Lafoux-Daudé La cage, 15 ans, Lycée Notre Dame (Mende, 48)
 
Dès lors, la reconnaissance de la souffrance n'est pas seulement un pas vers un mieux-être. Elle n'est pas seulement une manière de faire advenir des jours plus heureux dans notre expérience. Elle ouvre aussi à la manifestation d'une éthique humaine. Une éthique qui déniche nos mesquineries et nos stratégies puériles pour faire semblant de ne pas voir, protégeant ainsi un réseau d'habitudes égocentré, se sentant en permanence en insécurité. Une éthique qui ose aller vers l'autre sans pitié ni condescendance mais avec élan, avec courage, avec compassion, en particulier vers les plus faibles d'entre eux : réfugiés, enfants blessés ou réduits en esclavage, enfants travailleurs... :
 
« Ces enfants, car oui, ce sont des enfants,
implorent les noms de Dieu et de Satan.
Et leur demandent « Pourquoi faut-il souffrir autant ? »
Pourquoi vivre ce supplice, eux, si jeunes et insouciants.
Ils travaillent du lever au coucher du soleil,
de l'aube au crépuscule, sans repos, sans sommeil. »
Caoinhe Moresmau, Les enfants sacrifiés, 4e, Collège Saint André de Sangonis
 
« Attrapes ma main
Toi, qui portes seule sur tes épaules
le poids sans fin du monde
Tu ne peux pas
Tu ne peux plus
Tu ne dois plus
Viens petite fille perdue
Petite fille meurtrie
Partage ta peine
Partage ta charge
Nous les porterons ensemble »
Lily Pouget, Elle porte le monde, 15 ans, Nîmes
 
Une éthique qui ose aussi clamer de grandes valeurs : liberté, altruisme, gratitude, générosité dans une époque soi disant vouée au nihilisme ! :
 
« Pourquoi n'ai-je pas profité
de mes parents qui m'ont tant exalté
même si j'étais obstiné
j'aimerai tant me racheter
leur rendre ce qu'ils m'avaient donné (…)
Maintenant de tout mon être
je dois tout leur transmettre
à mes enfants si entêtés
s'ils comprennent j'aurai tout gagné
et s'ils m'ignorent je continuerai »
Ayoub Harrou, La courte vie, 4e, Collège Jean Moulin
 
« Oh liberté !
Tombe, tombe la fièvre.
Bénissons le saut de l'ange.
Un cri ! A présent un homme !
Donnons par amour, par défi,
parce que j'y crois !
Mes frères, mes sœurs !
Pardonnons les erreurs et les folies.
Liberté... Liberté... Liberté... »
Clémence Gualy, Liberté, 22 ans, Montpellier
 
« Aimer, c'est troquer son égo contre le sourire du prochain
c'est vivre ensemble aujourd'hui pour un commun lendemain
C'est nourrir chaque goutte d'espérance
Et mourir devant chaque souffrance »
Jocelyn Danga, Aimer, 23 ans, Kinshasa (RDCongo)
 
 
 Il nous faut donc une nouvelle fois remercier les jeunes auteurs, très jeunes ou déjà moins jeunes, pour leur sagesse incommensurable, pour nous avoir fait comprendre que reconnaître notre souffrance et tenter de la transformer, ce n'est pas un sacerdoce pénible et repoussant, mais peut-être la condition même pour habiter véritablement le monde, sans névrose ni surexcitation, simplement habiter. 

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